Pour la plupart des enfants autistes, certains bruits sont douloureusement stressants. Ils doivent souvent choisir entre être à l’aise et participer pleinement, mais une nouvelle technologique pourrait changer la donne.

Michelle Auton se souvient comment une banale visite à l’épicerie avec son fils Connor s’est transformée en une véritable épreuve, alors que celui-ci était âgé d’une douzaine d’années : « Il y avait un bip, très fort et perçant, et il ne pouvait pas supporter ça », se souvient l’analyste comportementale, établie en Colombie-Britannique. « Il était tellement perturbé qu’il ne parvenait pas à comprendre, quand nous lui disions que l’on pouvait partir. » Il ne s’est senti soulagé qu’après que ses parents l’aient transporté hors du magasin, laissant les courses derrière eux.

Connor, aujourd’hui adulte, est autiste. Il utilise une tablette avec une application tactile pour communiquer, avec le soutien de Michelle pour faire valoir ses droits. Comme 50 à 70 % des autistes, il est hypersensible à certains bruits. Ce phénomène, connu sous le nom de tolérance réduite ou d’hypersensibilité au bruit, peut être très pénible et handicapant.

Certaines personnes décrivent une sensation proche de la douleur physique, explique la Dre Michelle Schmidt, directrice générale d’Autism Community Training, une organisation sans but lucratif située à Burnaby, en Colombie-Britannique. « La façon dont les gens réagissent aux stimuli varie », explique-t-elle. Mais chez les enfants, cela se manifeste souvent par le fait de se boucher les oreilles, de pleurer, de recourir à l’autostimulation ou même de fuir un environnement particulier.

Des stratégies d’adaptation existent. Lorsque Connor était à l’école primaire, ses professeurs le laissaient sortir de la salle de classe chaque fois qu’il se sentait submergé par ses sens. Certains enfants portent des bouchons d’oreille ou des écouteurs pour atténuer l’environnement acoustique en cas de besoin. Cependant, ces tactiques ne permettent pas aux enfants d’entendre ce qui est important, notamment la voix de l’enseignant, ce qui les empêche de participer pleinement aux activités. « Sortir de la salle de classe n’est pas la solution idéale lorsque c’est là que se déroulent les cours et là où se trouvent vos amis », souligne Michelle Auton.

Une équipe de l’université Simon Fraser, financée par le Réseau pour la santé du cerveau des enfants, s’est attaquée à cet obstacle en mettant au point une application portable reposant sur l’intelligence artificielle qui permet de masquer ou de filtrer des bruits particuliers, que l’utilisateur trouve désagréables, sans supprimer pour autant les autres sons. À terme, cette technologie a pour but de permettre aux personnes dont la tolérance au bruit est limitée et à leur famille de mener leur vie tranquillement et sans entrave.

« Je serais ravie de voir des familles utiliser cette application pour avoir plus facilement accès à des activités récréatives qu’elles ne font pas normalement, comme aller au cinéma, assister à un match de hockey ou se rendre dans un centre commercial », déclare la Dre Elina Birmingham, l’une des investigatrices principales du projet. « Et je veux que les enfants l’utilisent pour être intégrés dans une classe normale. C’est le type d’objectifs que nos partenaires et nous-mêmes avons en tête ».

Child wearing a virtual reality headset

Des enfants sensibles au bruit ont testé l’application dans un environnement de réalité virtuelle

Les conséquences de l’hypersensibilité au bruit

Kenzie Curby, assistante en éducation inclusive, consultante en autisme et militante en faveur des droits des autistes, a une expérience personnelle de l’hypersensibilité au bruit. « Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’en ai toujours souffert », dit-elle. Cette expérience lui permet de comprendre les besoins des élèves qu’elle soutient et qui utilisent des écouteurs pour fonctionner au quotidien.

Elle reconnaît que son travail est difficile, et pas seulement en raison des responsabilités qui lui incombent. « Ce qui est difficile, c’est tout le reste : les cloches qui sonnent et les gens qui bavardent.

Tout le monde ne comprend pas combien l’hypersensibilité au bruit peut être difficile à surmonter, souligne-t-elle. « La plupart des gens pensent qu’il faut faire avec, et continuer comme si de rien n’était. Mais lorsque quelqu’un se casse la cheville, personne ne s’attend à ce qu’il participe à un marathon. C’est la même chose pour ceux d’entre nous qui ont besoin d’aménagements acoustiques au quotidien : nous ne pouvons pas fonctionner sans eux.

Dans certains cas, les enfants atteints d’hypersensibilité auditive sont complètement exclus de l’école, rapporte Michelle Schmidt. « Les gens se disent que s’il y a quelque chose qui les perturbe dans l’environnement, il faut les soustraire à cet environnement”, explique-t-elle. « Ce qui est, évidemment, très problématique.  »

Lorsque les enfants vont à l’école, cette affection peut les empêcher d’établir des relations sociales et interférer avec leur apprentissage, explique le Dr Siamak Arzanpour, un scientifique travaillant sur l’application, avec le soutien du RSCE. « Cela peut donc avoir de sérieuses conséquences sur le développement de l’enfant », ajoute-t-elle.

Un enfant hypersensible au bruit n’est pas le seul à être perturbé : sa famille peut également être affectée. Lorsque Michelle Auton élevait ses enfants, toute sortie de la maison était une expédition complexe. « Notre vie ressemblait à un match de football : tout se déroulait selon un cahier de jeux », explique-t-elle. « Si nous voulions aller quelque part, nous devions avoir un plan alternatif. Si notre enfant ne supporte pas le bruit pendant les fêtes de Noël, que pouvons-nous faire? Pouvons-nous nous réfugier chez un membre de la famille? Dispose-t-il d’un espace tranquille? Qui l’accompagnera et qui restera avec les autres enfants?

« Cela change complètement la vie », conclut-elle.

Du concept au prototype

Même si Elina Birmingham et Siamak Arzanpour travaillent tous deux à l’université Simon Fraser, ce sont des partenaires de recherche improbables. Généralement, leurs domaines d’expertise n’ont rien en commun, et ces scientifiques ne se seraient peut-être jamais rencontrés si, à l’occasion d’un dîner, ils n’avaient pas été assis l’un à côté de l’autre. Mme Birmingham mène des recherches sur l’autisme au sein du département d’Éducation, tandis que M. Arzanpour est professeur adjoint à l’École d’ingénierie des systèmes mécatroniques.

« Nous avons pensé qu’il pourrait être utile de combiner nos compétences dans le cadre d’une approche interdisciplinaire pour trouver des moyens plus efficaces que ceux actuellement utilisés par les enfants pour gérer leur hypersensibilité au bruit », explique Mme Birmingham.

Le RSCE s’est impliqué dans ce projet depuis le début. Outre des financements, le Réseau a également apporté d’autres contributions, notamment en présentant ces scientifiques à des organisations en relation avec des personnes autistes et leur famille. Ces partenaires, qui possèdent une expérience vécue, ont permis de définir les fonctionnalités qui leur seraient utiles, et ont apporté un retour d’information constructif au niveau de la conception et des différentes versions de l’application.

Celle-ci s’appuie sur deux principaux algorithmes d’IA : l’un détecte les bruits aversifs et l’autre permet de les dissocier des autres sons de l’environnement, qui peuvent être renvoyés dans les écouteurs portés par l’utilisateur. Ce logiciel est actuellement hébergé sur un téléphone.

Néanmoins, toutes les personnes atteintes d’hypersensibilité auditive ne sont pas perturbées par les mêmes bruits. L’algorithme de détection doit donc apprendre à reconnaître un ensemble individualisé de bruits aversifs.

« Le fonctionnement de l’IA est similaire au mode d’apprentissage des enfants », explique M. Arzanpour. « Il faut entraîner le cerveau du système à partir de données. » À titre de démonstration, l’équipe de recherche a entraîné le système à reconnaître plusieurs bruits déclencheurs courants, comme les aboiements de chien, les sirènes, les pleurs de bébé et les travaux de construction.

Lorsqu’ils sont confrontés à ces bruits, les utilisateurs ont plusieurs possibilités. « L’application peut activer la suppression ou le filtrage du bruit en question et laisser passer les autres sons », explique Mme Birmingham. « Par exemple, si je vous parle et qu’un chien se met à aboyer, nous pourrons continuer la conversation, mais les aboiements seront supprimés. »

L’application permet également de masquer le bruit par un autre son. « Beaucoup d’enfants semblent aimer les sons de la nature, qui ont un effet apaisant », explique Mme Birmingham. « L’application leur donne la possibilité de choisir entre plusieurs sons pour masquer le bruit, ou de le filtrer. Une fois qu’ils ont programmé leurs paramètres préférés, les processus de détection et de gestion du bruit sont automatiques. »

(De gauche à droite) La Dre Elina Birmingham, stagiaire du RSCE, la Dre Behnaz Bahmei et le Dr Siamak Arzanpour dans leur laboratoire à l’Université Simon Fraser

(De gauche à droite) La Dre Elina Birmingham, stagiaire du RSCE, la Dre Behnaz Bahmei et le Dr Siamak Arzanpour dans leur laboratoire à l’Université Simon Fraser

 

L'interface du prototype de sensibilité sonore présentée sur un téléphone intelligent

Le prototype comporte une interface conviviale, pouvant être activée sur un téléphone intelligent.

Pour préserver la sécurité des utilisateurs et s’assurer qu’ils ont conscience de leur environnement, l’application les avertit de certains sons importants. « Nous pouvons envoyer une alerte pour informer les utilisateurs qu’il y a quelque chose dans leur environnement auquel ils doivent prêter attention, comme une sirène », explique Mme Birmingham. « Nous pouvons également modifier la façon dont la sirène retentit. Ainsi, le bruit parvient toujours à leurs oreilles, mais ils le tolèrent mieux ».

Depuis 2024, l’équipe dispose d’un prototype de l’application qui a été testé dans un environnement virtuel par un certain nombre d’autistes, dont Kenzie Curby.

« L’une des possibilités était de masquer le bruit des sirènes par celui de la pluie », explique Kenzie Curby. « C’est un son que j’ai toujours trouvé très apaisant, depuis que je suis toute petite. J’attendais avec impatience que le bruit de la pluie commence, en raison du sentiment de sécurité qu’elle me procure ».

Michelle Auton est également enthousiasmée par le prototype et la facilité avec laquelle il pourrait s’intégrer à la vie quotidienne, sans attirer l’attention de manière stigmatisante. « C’est un petit outil qui tient dans la paume de sa main : on peut l’avoir sur son téléphone et le porter dans les oreilles », dit-elle. « Aujourd’hui, plus personne ne vous regarde bizarrement parce que vous portez des écouteurs. »

« Nous dépendons tous de la technologie », poursuit-elle. « Par exemple, certains d’entre nous ne connaissent pas les numéros de téléphone de leurs proches parce que la technologie s’en souvient à leur place. En tant que mère et comportementaliste, je constate que la technologie entre enfin dans la vie des gens atteints de déficience développementale comme jamais auparavant. »

Une voie prometteuse

L’équipe teste actuellement l’application sur le terrain dans le cadre d’une petite étude pilote. Si cela se passe bien, des études de validation clinique plus ambitieuses seront réalisées.

« Nous sommes également en train d’élaborer un plan commercial pour mettre l’application entre les mains des personnes qui en ont besoin », explique Mme Birmingham. Le RSCE a apporté son aide en matière de commercialisation en fournissant une formation commerciale et un accompagnement aux chercheurs, aux étudiants et aux postdoctorants.

Kenzie Curby attend avec impatience le moment où l’application sera disponible dans tout le pays. « L’un de mes atouts est mon sens aigu de la justice », dit-elle. « Je fais valoir mes droits, mais je veux aussi que les gens soient compréhensifs envers les autistes. Veiller à ce que tout le monde soit pris en compte est vraiment important pour moi. Et pour un grand nombre de personnes, cette solution va changer la donne ».